Page:Coeurderoy - 3 lettres au journal L'Homme.djvu/22

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prête à donner ses fruits, sous prétexte que les eaux laisseront un limon d’où sortiront des terres nouvelles. Hélas ! assez de moissons ont péri déjà, et ce n’est pas le limon qui manque.

Et, d’ailleurs, que savez-vous, que pouvez-vous savoir d’une invasion ? Qui dit invasion, dit armées nombreuses, chefs guerriers, féodalité militaire s’imposant par la conquête. Est-ce encore ce que vous voulez et n’en avez-vous pas assez des Césars ?

Si, encore, comme Herzen, vous mettiez, sans l’appeler de vos vœux, l’invasion russe au nombre des choses possibles que l’avenir peut réaliser, et criiez aux bourgeois : vous voulez du Czar en haine du socialisme ; prenez garde d’avoir le Czar et le socialisme ; on vous comprendrait. Mais appeler le Russe pour vous, cela ne se comprend pas ; parce que, même en admettant (ce que je fais volontiers) que dans son organisation communale, que dans ses tendances intimes, que dans l’esprit de sa race, le Russe offre de nombreuses analogies avec les tendances socialistes gauloises ; en admettant même (ce qui est aller bien loin) que le peuple russe soit prêt à une rénovation sociale, est-ce que c’est la rénovation sociale que l’invasion nous amènerait ? Non ! elle ne nous amènerait qu’un peuple de soldats, complice et mercenaire de l’absolutisme. Arts, sciences, industries, tout disparaîtrait foulé aux pieds des chevaux cosaques, et disparaîtrait pour longtemps. L’empire retarde l’avénement du socialisme de quelques années ; l’invasion le retarderait de plusieurs siècles. Et non seulement la révolution sociale ne se ferait pas en France, mais cette diversion guerrière empêcherait les germes du socialisme russe de se développer, et la Révolution ne se ferait nulle part dans l’ancien monde.

Pour moi, je crois que nous pouvons souhaiter au socialisme un destin plus heureux que celui du christianisme trahi et faussé par ses propres ministres et par leurs adeptes, les Barbares. Malgré le « Rendez à César ce qui appartient à César », et le « Mon royaume n’est pas encore de ce monde », je crois que le christianisme contenait de grandes promesses de liberté et d’égalité. Qu’est-il advenu de ces promesses ? que, sans réalisation sociale, elles sont restées comme une prophétie pour la Révolution moderne : et cela, grâce à qui ? grâce aux Barbares, en grande partie. Voulez-vous donc qu’il en soit ainsi des promesses du socialisme ?

Amis, amis, n’appelons pas sur les autres et sur nous-mêmes les