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Page:Coignet - Aux Vieux de la vieille, 1853.djvu/154

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pluie tombèrent en abondance extrême. Cette fois ce fut un dégel complet. Le sable pliait sous nos pas. L’eau montait à la surface et nous enfoncions jusqu’aux genoux. Il fallut attacher nos souliers avec des cordes pour ne pas s’exposer à les perdre, encore arrivait-il que les cordes se détachaient ou se rompaient subitement. La boue devint telle que chacun était obligé de prendre sa jambe de derrière à deux mains pour l’arracher et la rejeter en avant. On ne marchait plus, on se traînait, et pendant deux jours nous restâmes dans cette affreuse position.

Malgré qu’il n’y eût là que de vieux soldats aguerris, le découragement ne tarda pas à se mettre dans les rangs. Quelques-uns, égarés par la souffrance, se suicidèrent à nos yeux. — D’autres périrent de fatigue et de froid. — Nous en perdîmes à peu près soixante durant le trajet.

Quand nous arrivâmes à Pultusk, et que l’empereur vit notre désolation, il entra dans une violente fureur et s’écria, à plusieurs reprises : Vous n’êtes tous que des grognards ! Le nom nous en est resté. Bien souvent depuis, on s’en est servi pour désigner les vieux débris de la garde impériale. Ce sont les boues de la Pologne qui nous l’ont valu.

Pultusk était alors un misérable village composé de cabanes mal couvertes de paille. L’empereur y habitait une maisonnette qui ne valait pas mille francs. — Mais tout cela nous parut magnifique, Nous croyons y