Nous fûmes obligés de traverser un pré et là nos souffrances furent bien plus grandes encore. Nous avions les jambes plongées dans l’eau. Je ne sais pourquoi cette eau paraissait beaucoup plus froide que la boue des terres labourables. L’impression en était si douloureuse que nous poussions des cris ; si le trajet eût duré plus d’un quart d’heure nous y aurions succombé.
Après des peines inouïes, nous parvînmes à trois lieues environ de Varsovie. Nos yeux étaient caves, nos joues amaigries ; la fatigue avait accablé les plus courageux. Nous avions l’air de morts qui sortiraient de leurs tombeaux. Le général Dorsenne nous rassembla autour de lui et nous fit une allocution. Il nous déclara que l’empereur était fort mécontent de nous voir aussi peu fermes dans l’adversité, aussi abattus par des épreuves que lui-même avait supportées comme tous les autres. Ces paroles ranimèrent nos esprits et nous les accueillîmes par des cris enthousiastes.
J’avais encore dans mon sac un pauvre petit morceau de biscuit que j’avais conservé comme une dernière ressource contre la faim. Me voyant au terme de mes fatigues, je me décidai à le manger.
Bientôt nous entrâmes à Varsovie, c’était, je crois, le 1er janvier 1807. Les habitants nous reçurent à bras ouverts, ils ne savaient comment nous témoigner leur affection et leur joie. Les soins les plus tendres nous furent prodigués par eux : nous en avions besoin.