Aller au contenu

Page:Colet - Lui, 1880.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 85 —

Un peu éloignée de son monde, surtout des femmes, par ce mariage, la vieille marquise avait cherché à former un salon où les artistes et les littérateurs se mêlaient à d’anciens ministres de Charles x, et à quelques ambassadeurs étrangers. L’ex-marquise s’était liée avec les femmes artistes les plus célèbres d’alors ; elle avait attiré la sœur de la Malibran, miss Smithson[1], Mme Dorval, et au moment où je la connus elle appelait Antonia Back ma sœur ! les amis d’Antonia étaient devenus les siens, elle ne pensait et n’agissait plus que d’après l’inspiration de celle qu’elle nommait : la grande sibylle de la France.

Sachant combien je désirais connaître Antonia, la vieille marquise m’invita à une soirée où elle devait se trouver. Antonia, qui était la curiosité de cette réunion, arriva fort tard ; pour tromper l’impatience des assistants, on fit en attendant un peu de musique. J’avais à cette époque une assez belle voix de contralto négligemment cultivée, mais dont l’expression plaisait dans certains chants. La vieille marquise me demanda de chanter ; je refusai, elle insista et me dit : « Quand elle sera là vous chanterez pour elle ! » Presque aussitôt, Antonia entra s’appuyant sur le bras du gros philosophe Ledoux, qu’elle appelait son Jean-Jacques Rousseau ; elle était suivie du jeune Horace que dans son admiration fantasmagorique, elle avait surnommé son jeune Shakespeare. Horace était un assez beau cava-

  1. La célèbre tragédienne anglaise, première femme de Berlioz.