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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/111

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table de nuit. Elle ne s’interrompait que pour offrir de la tisane au musicien qu’elle tutoyait.

Ce laisser-aller, devant ses enfants, me choqua profondément ; il ne faut pas dérouter la pureté et l’ignorance de l’enfance par cette familiarité des passions de l’âge mûr.

Depuis ce jour je n’ai jamais revu Antonia.

Pendant que j’avais parlé, Albert était resté debout, adossé à la cheminée, immobile et muet ; on eût dit une statue du souvenir ; son attention semblait moins me suivre dans mon récit que se replier sur elle-même, évoquant sans doute les scènes du passé : son regard ne s’était pas levé une fois sur moi.

Mon silence seul parut lui rappeler que j’étais là. Il me prit la main :

— L’Antonia d’autrefois n’était pas la même que celle que vous avez connue, me dit-il, elle était bien belle et avait le charme étrange qui provoque et fascine.

— Vous l’avez profondément aimée, lui répondis-je.

— Oui ; anxieusement. Mais n’en parlons plus ; c’est assez ; il est des fantômes qu’il ne faut pas ranimer le soir, car ils s’obstinent autour du chevet, et sans le vouloir, marquise, vous m’avez préparé une de ces nuits qui sont l’explication de mes jours. Quand mes visions se lèvent menaçantes, il faut bien que je les chasse par l’ivresse et par la débauche.

— Oh ! chassez-les plutôt par mon amitié, lui dis-je en le forçant à s’asseoir près de moi, mais il resta inerte et distrait, et ce soir-là c’est lui qui voulut partir.