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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/113

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— Mais c’est justement le soir que la forêt de Saint-Germain est belle à parcourir, repartit Albert ; je vous raconterai une chasse fantastique. Voyons, marquise, si vous refusez, vous allez me donner de la fatuité ; je penserai que vous avez peur de moi.

— Ne lui fais pas de la peine, me dit mon fils en se suspendant à mon cou, il est si bon.

Comment les refuser ? dans l’isolement où je vivais j’éprouvais parfois le désir impérieux d’un peu d’expansion, d’une promenade, d’une visite, d’une participation au mouvement extérieur qui m’arrachât à moi-même et à l’absorption de mon amour. Albert s’offrait à moi comme un frère aimable, un compagnon intelligent dont l’esprit me ravissait ; j’étais à la fois trop charmée par son génie et trop sûre de mon cœur pour affecter avec lui une réserve formaliste. Quand il n’était pas irrité par l’ivresse ou par le souvenir de ses chagrins, il joignait la bonté et la grâce d’un cœur de poëte aux manières accomplies d’un homme du monde.

— Eh bien ! je consens, lui dis-je.

— Croyez-moi, marquise, ne vous donnez pas l’ennui de vous mettre en toilette : jetez une mante de taffetas noir sur votre robe de chambre ; posez un chapeau quelconque sur vos cheveux relevés à l’aventure et partons.

— Oui, dépêche-toi, reprit mon fils, pendant que tu te prépareras je vais faire déjeuner Albert.

Je les quittai en souriant ; quand je revins, au bout de quelques minutes, Albert avait mangé deux œufs