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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/125

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Tandis que celui à qui j’avais donné ma vie me laissait en proie à toutes les anxiétés de l’amour, Albert, qui trouvait près de moi une sorte de distraction calme, prenait insensiblement l’habitude de me voir chaque jour. Tantôt ses visites m’étaient douces et tantôt elles m’irritaient ; j’avais le cœur obsédé par mon tourment secret.

Eh ! que m’importait cet homme que je ne pouvais aimer ? Ce n’était pas lui que j’attendais, c’était la jeunesse, la beauté, la force ! l’être que n’avait pas effacé la banalité des passions et qui, par sa dureté altière, exerçait sur moi un ascendant irrésistible ; Albert, maladif et frêle, resté brisé et flétri de l’amour, m’intéressait comme un frère et me touchait comme un enfant ; mais le complément de mon être, mais mon dominateur, il ne l’était pas, et peut-être dans le passé même ne l’aurait-il jamais été ! Il y avait dans nos natures trop de fibres sensitives analogues, trop de parités d’idées et d’imagination. Les semblables restent frères, mais l’union tourmentée des amants exige les contraires. J’oserai vous faire ici un aveu complet. Parfois, dans le désespoir où me laissait Léonce, je désirais presque qu’Albert m’inspirât un attrait plus vif ; que mon cœur battît en l’entendant venir et sentît près de lui un trouble précurseur d’une infidélité. Mais non, j’étais calme et triste quand il était là ; il parvenait toujours à me distraire par son esprit, mais il ne me dégageait pas de mon chagrin. Il m’arrivait quelquefois d’être avec lui brusque et fantasque et, comme il tenait à me