Aller au contenu

Page:Colet - Lui, 1880.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 115 —

Je me reculai d’un bond, et mon émotion convulsive refoulée toute la journée éclata en sanglots.

— Que pensez-vous, que sentez-vous pour moi ? me dit-il, de grâce, parlez-moi !

— Vous m’avez émue, vous êtes bon et tendre, répliquai-je, mais je vous en supplie, ne m’interrogez pas et goûtons sans trouble la douceur de ce beau soir.

Comme s’il avait craint de perdre un espoir que mes larmes lui avaient involontairement donné, il fit taire son cœur, et son esprit flexible et charmant ne parut plus songer qu’à me distraire. Nous étions arrivés sous une allée du bois de Boulogne, sombre et haute, dont le long arceau se déroulait devant nous.

— Mettons pied à terre, me dit-il, l’air vous fera du bien, et nous causerons en marchant, moins contraints et moins troublés que dans cette voiture.

Je lui obéis ; j’avais soif de l’air de la nuit, il me semblait qu’il me délivrerait des obsessions brûlantes du jour.

Je m’appuyais à peine sur son bras, et nous glissions comme deux ombres dans l’allée sombre et profonde. Nous arrivâmes dans une espèce de petite clairière où s’élevait une croix de pierre ; c’était un lieu de rendez-vous célèbre pour les duels. Albert me fit asseoir au pied de la croix et s’assit à côté de moi ; la lumière de la lune tombait à plein sur son front, et le scintillement des étoiles se jouait sur la cime mouvante des arbres qui frissonnaient au vent de la nuit. Une calmante fraîcheur courait sur tout mon être.