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vrages et en les applaudissant en public ; mais presque tous les littérateurs, excepté René, visent trop à l’effet : tantôt par une raideur et une morale de convention ; tantôt en voulant être des hommes politiques, et en dédaignant eux-mêmes les lettres qui les ont fait grands. Vous savez le cri désespéré que j’ai poussé vers l’un des plus célèbres ? Eh bien ! cette lamentation d’une âme saignante resta sans réponse ; ce qui n’empêchera peut-être pas ce grand lyrique de faire un jour sur ma tombe quelque attendrissante élégie !

J’aime les esprits simples et humains qui s’émeuvent de nos passions et de nos douleurs, sans songer à nous enchaîner à leur ambition ou à leurs systèmes.

Albert Nattier me plut dès l’abord par son laisser-aller, la franchise de sa vie et son insouciance de l’opinion. Me voyant dégoûté des femmes du monde et des grisettes, il m’introduisit dans le monde des actrices et des courtisanes qui dévoraient sa fortune ; je fus un moment ébloui, car ces sortes de femmes ont vraiment la science du luxe et une certaine apparence poétique. Elles s’ajustent à ravir, possèdent le geste et le regard vrais des sentiments qu’elles veulent feindre, et quand elles ne parlent pas trop, elles sont plus séduisantes que d’autres pour les sens et pour l’imagination. Malheureusement, même dans mes liaisons les plus futiles, j’ai toujours voulu pénétrer jusqu’à l’âme, analyser le fond des êtres. Vous pensez de quel dégoût je fus bientôt pris pour cette espèce de femmes, qui, presque toutes, ont auprès d’elles leur mère, dont