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une absorption et un égoïsme que Dieu doit punir. Nous vivons ici comme des enfants pervers, sans frein, sans croyance, nous repaissant de nos sensations et oubliant l’humanité qui souffre ; oubliant même le travail qui est notre devoir et notre moralisation ; dès demain je veux changer ce genre de vie et revenir à la raison.

— Oh ! froide, froide femme, m’écriai-je, tu es donc semblable à toutes les autres femmes, quand elles n’aiment pas ou qu’elles n’aiment plus ? Elles tiennent toutes le même langage ; toutes se parent de cette apparence morale : c’est toujours l’immolation des passions à la vertu ; elles nous flagellent sans pitié avec une abstraction ou un dévouement sacré et nous avons l’air impie en leur résistant. Je me souviens qu’une jeune comtesse rompit avec moi sous prétexte que je n’allais pas à l’église et qu’elle ne pouvait garder pour amant un homme qui ne croyait pas au même Dieu qu’elle ! Une autre, le jour où son mari fut nommé pair de France, me déclara qu’elle n’oserait plus donner au monde, dans cette haute région, le scandale de notre amour ! Une troisième, qui avait abandonné ses enfants pour se jeter dans mes bras, se sentit un beau matin prise de remords et me quitta pour… un autre amant ; une quatrième trouva que mes assiduités pouvaient nuire au mariage d’une jeune sœur dont elle était jalouse !

— Assez, assez, s’écria Antonia en m’interrompant avec colère, n’allez-vous pas faire passer devant moi le défilé de vos amours, et croyez-vous que j’ignore quel assemblage de femmes vous avez aimé ?