— Revenez donc à vous, Albert, reprit-elle avec le même ton calme ; est-ce que je vous quitte ? Est-ce que nous ne regagnons pas ensemble la maison pour nous y reposer ? Pourquoi m’en vouloir si ce bois incommensurable, si le ciel qui s’assombrit et le vent qui commence à rugir dans les branches, comme des voix de bêtes fauves, me causent un peu de terreur ? Après tout, je suis une femme, ajouta-t-elle, comme laissant échapper l’aveu d’une faiblesse feinte, et, se pressant contre moi, elle ajouta :
— Allons, allons, marchons plus vite et nous serons bientôt dans notre bon gîte.
— Nous avons pour trois heures de marche, répliquai-je ; la nuit devient tout à fait noire, plus d’étoiles, plus de lune, comment nous diriger ? Vois ces gros nuages qui roulent là-bas, on dirait qu’un orage va éclater.
— Eh ! ce sera beau, reprit-elle, plus tard nous le décrirons dans un livre !
— Tu n’as donc plus peur, lui dis-je, alors restons ici : voilà justement la cabane abandonnée d’un bûcheron qui nous servira d’abri.
— Non, je veux dormir dans mon lit et travailler dès demain, je te l’ai dit.
— Oh ! oui, repris-je ironiquement, travailler à heures fixes et réglées comme la couturière et le laboureur qui font le même nombre de points et de sillons par jour ! Oh ! ma pauvre Antonia, tu oublies que nous autres poëtes nous sommes un peu le lis de l’Écriture :