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les vaines mélancolies, ainsi qu’on jette un vêtement qui accable, je sortis en faisant siffler ma canne. Comme je traversais le couloir, je vis la porte de la chambre d’Antonia entr’ouverte ; elle me cria sans lever la tête et sans quitter la plume :

— Divertis-toi bien.

Je répondis :

— Tant que je pourrai !

Les mots prononcés par elle provoquèrent ma réponse à laquelle je n’attachai aucun sens de défi. J’étais ravivé, gai de la gaieté de ce beau jour, content d’avoir travaillé ; je réfléchissais que ce serait folie de nous tourmenter l’un l’autre, qu’Antonia était une noble femme, et que son effort courageux de travail révélait toute sa fierté ; il m’était impossible de l’imiter en tous points, mais je travaillerais aussi à mes heures, en rentrant et après avoir fait pénétrer en moi l’air du dehors et l’inspiration de ma fantaisie.

Avant de monter en gondole pour me rendre chez le consul, je voulus traverser la place Saint-Marc. J’y retrouvai devant le café où je m’étais assis la veille, la petite saltimbanque du Maroc qui jouait du tambour ; comme le jour précédent, elle était vêtue de ses guenilles vertes et jaunes qui faisaient pitié à voir. Se souvenant sans doute que je lui avais donné quelques monnaies, aussitôt qu’elle m’aperçut elle arrêta sur moi ses yeux pensifs et tristes qui avaient l’expression de ceux d’Antonia dans ses moments de tendresse. Ces yeux dont j’aimais le regard me suivirent avec tant de fixité