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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/235

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faisais conduire en pleine mer, tantôt je m’enfermais dans un musée ou dans la bibliothèque du riche Vénitien que j’avais rencontré chez le consul. Souvent je dînais ou je soupais au restaurant ; j’évitais de manger avec Antonia, car dans ces heures ordinairement si intimes d’un repas pris ensemble, sa froideur ou sa raillerie m’exaspéraient ; je fuyais aussi la vue des autres femmes ; je regardais à peine les belles Vénitiennes penchées à leurs balcons où, à travers leurs jalousies, leurs regards appellent les regards. Je ne voulais pas être infidèle à mon amour, même par une tentation passagère.

Je tenais mon esprit toujours en haleine : j’imaginais en marchant des plans d’ouvrages, je combinais des effets dramatiques, je façonnais quelques vers, et lorsque qu’à minuit je rentrais, je me mettais à écrire jusqu’à ce que la fatigue me brisât. Alors je me jetais sur mon lit, parfois tout habillé. Quand je me levais j’étais harassé ; je secouais mon malaise et mon cœur, et je recommençais à travers Venise mes courses vagabondes.

Un jour c’était Saint-Marc qui m’attirait ; je m’arrêtais d’abord devant son portique pour considérer les fameux chevaux de bronze que la victoire conduisit à Paris, et dont mon père m’avait si souvent parlé comme d’un des trophées de nos gloires. La vue de ces chevaux me suffisait pour ranimer tout l’Empire. Je revoyais Napoléon comme un héros antique tenant par la crinière ces coursiers grecs. À mesure que je péné-