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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/247

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c’était quelque chose de non appris, d’inspiré par le sang.

Comme tous les spectateurs, je subissais la contagion de passion qui se dégageait d’elle. Il est vrai qu’elle m’enveloppait de son regard, m’appelait du sourire et semblait m’étreindre à travers l’espace. Dès son entrée en scène, ses yeux s’arrêtèrent sur moi et ne me quittèrent plus ; je me sentais attiré, emporté dans ses bras, pressé contre son cœur ; j’étais à coup sûr le maître de cette femme, le sultan préféré qu’elle voulait fasciner ; elle savait me vaincre à force de volonté et d’amour ; je ne m’appartenais plus et je tourbillonnais avec elle, enlaçant, enlacé, suivant l’expression de Goethe.

Les danses les plus brûlantes auraient paru glacées auprès de cette danse africaine. Ce n’était pas la lascivité, mais l’ardeur ; au lieu des tressaillements du plaisir et de la gaieté, c’était la frénésie indomptée et sombre, l’ivresse qui tue. Cette danse incandescente était à la danse italienne et espagnole ce qu’est Didon à une matrone romaine et Othello à Gonzalve de Cordoue. On devinait une de ces filles du Sahara, qui prouvent leur amour en faisant éteindre des charbons ardents sur leur chair. À chaque mouvement, à chaque geste se détachait d’elle un fluide ambiant qui remplissait la salle ; les spectateurs semblaient possédés de l’ardent démon qui frémissait dans ce jeune corps ; c’étaient des cris, des transports, des baisers lancés dans l’air, des mots hardis qu’on ne se dit que tout