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Carissimo, me dit-elle, venez voir l’effet de la serre illuminée sur un canal sombre.

— Pas encore, lui dis-je, après souper peut-être.

J’aperçus, comme nous parlions de la sorte, vers le milieu du passage où nous étions, une femme masquée debout devant une glace de Venise. Je fus d’autant plus frappé de cette apparition qu’elle semblait tout à coup animer devant moi la Vénus couronnée de Pâris Bordone, un des tableaux que j’avais le plus admiré à Venise. Plus j’approchais, et plus je reconnaissais dans tous ses détails le costume dont l’élève du Titien a revêtu sa Vénus, qui n’est comme on sait que le portrait d’une grande dame Vénitienne : « les cheveux, noués sur le front et entremêlés de perles, tombaient sur les bras et sur les épaules en longues mèches ondoyantes. Un collier de perles, fixé au milieu de la poitrine par un fermoir d’or, suivait et dessinait les parfaits contours du sein nu. La robe en taffetas changeant bleue et rose était relevée sur le genou par une agrafe de rubis, laissant à découvert une jambe polie comme le marbre. Les bras étaient entourés de riches bracelets et les pieds chaussés de mules écarlates lacées d’or. »

Tel était ce costume si bien décrit par un poëte contemporain. Je me demandai quelle pouvait être cette femme qui paraissait avoir choisi pour me plaire l’habillement de cette Vénus de Bordone, que j’avais si souvent regardée avec amour. Cependant elle restait immobile, son visage masqué tourné de mon côté. Tout