Page:Colet - Lui, 1880.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 240 —

m’étreignit avec tous les emportements de la passion ; c’était sa danse devenue amour. Je n’eus pas conscience de la réalité, et je fus heureux dans un rêve.

La chambre où nous étions était obscure, une seule lampe suspendue y jetait sa lueur. Comme je lui rendais ses caresses, une raie soudaine de lumière se projeta sur nous et éclaira son visage. Elle ouvrit ses grands yeux ; je poussai un cri ; son regard venait de me rappeler celui d’Antonia. Au même instant, un domino noir qui tenait un flambeau passa près de nous, en riant sardoniquement. Était-ce Zéphira ? Non, non, la voix de la danseuse n’avait point ce timbre grave ; cette voix, je crus la reconnaître, elle m’apportait comme un écho de celle d’Antonia !

Je m’arrachai des bras de l’Africaine, je la repoussai avec rage, je détachai violemment ses mains qui se cramponnaient à mes habits, et lui jetant tout l’or que j’avais dans mes poches, je lui criai :

— Va-t’en de Venise et que je ne te revoie jamais !

Cependant, le domino fuyait dans une galerie voisine ; je me mis à sa poursuite, mais sans pouvoir l’atteindre ; je le vis descendre le grand escalier du palais et monter dans une gondole qui disparut bientôt à mes yeux.

Stella et son amant qui quittaient la fête m’aperçurent en ce moment.

— Où courez-vous de la sorte, tête nue et sans domino, me dit la prima donna, entrez dans notre gondole et nous vous reconduirons.

Quand je fus assis près d’eux à l’abri des stores fer-