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ma liaison avec Antonia, me rendirent, pendant quelque temps un des objets de la curiosité parisienne ; les salons du grand monde et ceux de la littérature me recherchaient comme une étrangeté qu’on est flatté de montrer à ses invités. C’est à cette époque, chère marquise, que je vous rencontrai, un dimanche soir à l’Arsenal ; je fus frappé par votre air de jeunesse et par l’expression franche de vos traits. Oh ! pourquoi ne nous sommes-nous pas aimés alors ! je pouvais encore être sauvé et redevenir un être énergique que vous auriez dirigé.

Vous ne fûtes pour moi que le mirage d’un instant. J’allais, durant ces jours troublés, à chaque lueur qui m’apparaissait ; mais trop perdu dans un aveugle scepticisme pour chercher obstinément la vraie lumière et m’y retremper, je ne songeai pas à voir votre âme ; je n’étais pas guéri de mon amour.

Dans de tels déchirements, il faudrait pouvoir fuir dans un désert et y cacher sa blessure ; elle finirait, peut-être par se fermer. Mais le monde la heurte et la rouvre sans cesse. On rencontre des gens qui nous rappellent le temps heureux ; des amis qui nous plaignent ou nous raillent en nous répétant : « Nous l’avions bien prévu ! » des femmes coquettes qui nous provoquent du regard ou de la voix et nous parlent de notre amour trahi en se jouant ; il n’est pas jusqu’aux choses inanimées qui ne soient poignantes et cruelles. Nous étions ensemble la dernière fois que j’ai regardé ce monument, traversé ce jardin, ou entendu cette mu-