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m’asseyant je poussai du pied un coussin en tapisserie fait par elle ; son portrait, placé dans un angle de ma chambre, me regardait de ses grands yeux interrogateurs, et il semblait me dire : Tu as beau faire, je serai toujours où tu seras ! — J’éprouvai ce qu’on ressent à l’heure où le corps d’un mort chéri vient d’être enlevé pour le cimetière ; on contemple avec angoisses les vestiges qui restent de lui ; on frissonne en y touchant, comme si l’on touchait au cadavre même ; on ferme les yeux pour ne plus rien voir, mais les yeux se remplissent de larmes, et à travers ces larmes on revoit encore l’être qui n’est plus.

J’étais en proie à ces pensées funèbres, lorsque mon domestique, qui était allé chercher de la lumière me dit en rentrant dans ma chambre qu’une dame demandait à me parler. Je souris, car je ne sais par quel revirement de mon esprit je m’imaginai tout à coup que ce pourrait bien être la jolie comtesse de Nerval ! Elle m’avait recherché et fait les doux yeux dans plusieurs bals ; à coup sûr c’était elle qui venait d’épier mon retour dans le fiacre immobile.

Je me levais pour aller à sa rencontre, lorsque je vis paraître Antonia : elle se prosterna à mes pieds dans l’attitude de la Madeleine ; elle représentait d’autant mieux cette sainte devenue classique, que ses deux mains tendues tenaient une tête de mort.

— Parbleu ! lui dis-je avec humeur, quelle étrange figure faites-vous là et que prétendez-vous avec cette scène théâtrale ?