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j’étais moins triste, plus légère de cœur, mieux disposée à travailler et à vivre.

Nous ne nous étions pas dit : Au revoir, en nous quittant, mais j’espérais qu’il reviendrait et qu’en évitant certaines émotions nous finirions par nous accoutumer tous les deux à une riante fraternité.

Quant à ce qui touchait à Léonce, je sentais s’affaiblir l’interprétation terrible qu’Albert avait donnée à ses lettres ; pourtant je n’avais pas osé les relire, redoutant d’y trouver moi-même une cruelle confirmation. Mais celles que je recevais chaque jour de lui étaient désormais si tendres, que ma confiance ébranlée se raffermissait peu à peu.

Albert m’écrivit un matin pour me proposer d’aller avec lui au Théâtre-Français voir jouer l’Œdipe de Voltaire ! Il se promettait, me disait-il de passer une très-réjouissante soirée en entendant défiler d’un pas traînard tous ces alexandrins essoufflés ; il ajoutait qu’il offrirait une place, si j’y consentais, à un vieux monsieur de notre connaissance.

C’était un ancien beau de l’empire qui prenait au sérieux les tragédies de Voltaire, parlait avec respect du Sylla de M. de Jouy et ne mettait pas en doute la sublimité du Léonidas de M. Pichat.

J’acceptai la proposition d’Albert, et vers l’heure du spectacle il vint me chercher en voiture. Le temps était redevenu brûlant, et la soirée me parut tellement étouffante que je me mis une robe de mousseline blanche, pour pouvoir supporter la double lour-