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saient par des paroles émues ; je ne devais pas revoir Albert, me disait-il car je pourrais être touchée de son repentir, et il ne méritait plus mon pardon après l’acte de démence qui avait failli me coûter la vie. « Oh ! garde-moi, garde-moi, me disait-il en finissant, je vaux mieux que lui ! »

Je lus d’abord cette lettre avec joie, mais en réfléchissant je fus indignée : c’est lui qui aurait dû être là près de moi, et non ce froid papier ; était-ce bien l’heure de parfaire quelques froides pages de roman quand les tressaillements du drame vivant de son cœur auraient dû le prendre tout entier.

Albert, lui ! s’efforçait du moins de réparer un moment de folie par une douleur touchante et sans trêve ; il était venu trois fois dans la journée, et comme je refusais toujours de le voir il m’écrivit le lendemain matin une lettre de supplications ; il ne craignait pas, le grand poëte, de perdre son temps en courses vaines, de s’abandonner tout entier à un soin absorbant et de dérober par là une page à la postérité ! Il sentait instinctivement que les palpitations du cœur font le génie et que ce n’est pas d’un arbre mort qu’on peut tirer de la sève. Quoique bien malade déjà, il montait deux fois par jour, sans se décourager et sans se plaindre, le rude escalier qui aboutissait à mon quatrième étage. Oh ! grand cœur tourmenté, comment t’en vouloir ! M’aurais-tu tuée, je sens qu’en mourant je t’aurais pardonné.

J’étais bien tentée de le revoir, je l’avoue, mais il me semblait que la résolution que j’avais prise im-