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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/406

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On t’aimait ; l’humble toit, les cœurs t’étaient ouverts ;
C’était peu pour ta gloire et peu pour ta fortune.
Mais la sincérité n’est pas chose commune.
 
Souviens-t-en, quand viendra la douleur importune ;
Moi, je pense au beau soir où rayonnait la lune,
Quand tu m’as dit « Je t’aime, » et je relis tes vers.


Je l’attendis en vain pendant trois jours ; je sus par René qu’il se disposait à faire un voyage. Je voulais le revoir encore une fois ; car je sentais bien que Léonce en arrivant allait reprendre son empire : on ne brise pas en un jour des chaînes longtemps portées ; il en est de l’amour comme du despotisme ; il s’impose souvent par ses exigences mêmes au cœur confiant de la femme, comme la tyrannie s’impose par sa hardiesse à un peuple aveugle ; mais l’heure de la clairvoyance se fait tôt ou tard, et alors le divorce éclate entre le trompeur et le trompé. Pour moi, cette heure de lumière devait briller, mais hélas ! en me foudroyant.

J’avais promis à Albert de lui porter moi-même mes vers ; je savais qu’il sortait chaque soir, et qu’en arrivant chez lui vers neuf heures, je trouverais son logis vide, mais encore tout imprégné de sa présence. Quel bonheur ineffable de m’asseoir dans son petit salon, de feuilleter ses livres, d’écrire mon nom à son bureau pour lui dire : « Je suis venue ! » et pour qu’en rentrant il me retrouvât là en esprit, comme je l’y avais trouvé lui-même. En me représentant une sensation si vive et si pure, je ne résistai pas au désir de la goû-