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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/76

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et dites-moi plutôt les noms de toutes ces plantes.

— Me prenez-vous pour un professeur du jardin des Plantes, répliqua-t-il d’un ton railleur. M. de Humboldt avec qui je suis venu ici il y a un an, m’a bien dit les noms en us de tous ces arbustes enchevêtrés ; mais c’est tout au plus si j’en ai retenu deux ou trois ; j’ai mieux aimé me pénétrer de la saveur des dissertations ingénieuses, si neuves et si pleines d’images du savant inspiré. Ce qu’il y a de merveilleux dans ces grands génies allemands, c’est l’étendue et la diversité de leurs aptitudes ; ils participent de l’âme universelle et parfois on dirait qu’ils l’absorbent en eux ; c’est ainsi que le poëte Goethe s’assimile la science et la revêt de son génie, tandis que le savant Humboldt emprunte à la poésie une grandeur dont il pare son savoir.

— En France, nous restons parqués dans nos facultés distinctes ; un savant est un pédant ; un poëte est un ignorant ou à peu près, nos musiciens et nos peintres sont illettrés. L’Allemagne semble avoir hérité de l’intelligence synthétique de la Grèce qui voulait que le génie embrassât toutes les connaissances de l’humanité. M. de Humboldt est un de ces esprits dont la manifestation se produit sur tous les sujets, avec cette facilité divine qui caractérisait les demi-dieux de l’antiquité. Je n’oublierai de ma vie tout ce qu’il a répandu d’éloquence et de verve devant moi à cette même place où nous sommes assis. Ne l’avez-vous jamais entendu, marquise ?