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journée passée en plein air, commença à s’endormir vers dix heures, et Marguerite l’emporta ; je restai seule avec Albert, éprouvant moi-même un peu de lassitude. J’étais assise immobile sur un grand fauteuil, Albert, placé en face de moi, au coin du feu, roulait dans ses doigts une cigarette que je lui avais permis de fumer.

Nous ne nous parlions pas, et insensiblement j’oubliai presque qu’il était là ; une autre image prenait sa place et se dressait jeune, souriante et aimée, vis-à-vis de moi ; machinalement, je me courbai vers la table où j’écrivais chaque soir ; je pris une plume et je touchai un cahier de papier à lettre ; c’était l’heure où j’écrivais à Léonce, et l’habitude de mon cœur était si impérieuse, que, même au théâtre ou dans le monde, où je n’allais plus que rarement, lorsque l’heure de ma lettre quotidienne arrivait, je sentais une vive contrariété de ne pouvoir l’écrire.

— Vous avez affaire et je vous gêne, me dit Albert, qui s’était aperçu de la rêverie où j’étais tombée et qui suivait du regard tous mes mouvements.

Sa voix me fit tressaillir et me rappela sa présence. Je rougis si visiblement qu’Albert reprit comme s’il m’avait devinée :

— Vous pensez à un absent.

— Je suis un peu lasse de cette bonne journée, lui dis-je, sans lui répondre directement.

— Ce qui m’avertit que je dois me retirer, répliqua-t-il sans se lever. Oh ! marquise, vous ne savez pas où vous m’envoyez !