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Page:Colette - Claudine en ménage, 1903.djvu/26

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On dirait que pour lui — et je sens que ceci nous sépare — la volupté est faite de désir, de perversité, de curiosité allègre, d’insistance libertine. Le plaisir lui est joyeux, clément et facile, tandis qu’il me terrasse, m’abîme dans un mystérieux désespoir que je cherche et que je crains. Quand Renaud sourit déjà, haletant et les bras dénoués de moi, je cache encore dans mes mains, quoiqu’il empêche, des yeux pleins d’épouvante et une bouche extasiée. Ce n’est qu’un peu de temps après que je vais me blottir sur son épaule rassurante et me plaindre à mon ami du mal trop cher que m’a fait mon amant.

Parfois, je cherche à me persuader que peut-être l’amour est trop neuf pour moi, tandis que, pour Renaud, il a perdu de son amertume ? J’en doute. Nous ne penserons jamais de même là-dessus, en dehors de la grande tendresse qui nous a noués…

Au restaurant, l’autre soir, il souriait à une dîneuse solitaire, dont la minceur brune et les beaux yeux maquillés se tournaient volontiers vers lui.

— Vous la connaissez ?

— Qui ? la dame ? Non, chérie. Mais comme elle a une jolie silhouette, ne trouves-tu pas ?

— C’est pour cela seulement que vous la regardez ?