Je respire avec application, pour chercher et rappeler des odeurs oubliées, qui montent à moi comme du fond d’un puits frais. Il y en a qui m’échappent et dont je ne sais plus les noms…
Aucun de nous ne rit, et si la grande coquette fredonne, c’est un petit air si rompu, si dolent… Nous ne sommes pas bien ici, tout y est trop beau !
Un paon familier paraît, au bout de l’avenue, et derrière l’éventail qu’il déploie, nous nous apercevons que le ciel devient rose… Le soir va venir. Le paon marche lentement de notre côté, comme un gardien courtois chargé de nous évincer. Oh ! oui, allons-nous-en… Mes compagnons courent presque, à présent…
— Voyez-vous que nous le rations, mes enfants !…
Nous savons bien, tous, que nous ne manquerons pas le train. Mais nous fuyons le beau jardin, le silence et la paix, la noble oisiveté, la solitude dont nous sommes indignes. Nous courons vers l’hôtel, vers la loge étouffante et la rampe qui aveugle. Nous courons, pressés, bavards, avec des cris de volailles, vers l’illusion de vivre très vite, d’avoir chaud, de travailler, de ne penser guère, de n’emporter avec nous ni regret, ni remords, ni souvenir…
ON ARRIVE, ON RÉPÈTE
Vers onze heures, nous arrivons à X…, une grande ville (peu importe le nom) où on ne paye pas mal, où on travaille beaucoup ; le public, gâté, veut les « grands numéros » tout de suite après Paris… Il pleut : une de ces pluies de printemps, tièdes, qui donnent sommeil et ramollissent les jarrets.
Le déjeuner lourd, la fumée de la brasserie — après la nuit passée dans le train — font de moi la bête la plus rechignée, qui boude au travail de l’après-midi. Mais Brague ne badine pas :
— « Grouille-toi le mou », allons ! La répétition est à deux heures.
— La barbe ! Je rentre à l’hôtel, et je dors ! Et puis je ne veux pas que tu me parles sur ce ton-là !
— Excusez, princesse. Je voulais simplement vous prier d’avoir l’extrême bonté de vous « manier le pète ». Les plâtres nous attendent.
— Quels plâtres ?
— Ceux de l’établissement. On jouera à la fraîche, ce soir.
J’oubliais. Nous étrennons un music-hall nouveau, qui s’appelle l’ « Atlantic », ou le « Gigantic », ou l’ « Olympic », — un nom de paquebot. Trois mille places, un bar américain, des attractions au promenoir pendant les entr’actes, un orchestre de tziganes dans le hall… Nous lirons ça demain dans les journaux ; pour nous autres, ça ne change rien, sauf que nous sommes sûrs de tousser dans les loges, parce que le calorifère neuf chauffera trop ou parce qu’il ne chauffera pas assez.
Je marche derrière Brague, qui se fraye un chemin à coups de coude sur l’avenue du Nord, encombrée d’employés et d’ouvrières qui se rendent, comme nous, à leur usine. Un piquant soleil de mars fait fumer la pluie, et mes