ver, mais où ? Quel mirage suspendu lient ses yeux levés, quand elle semble regarder à travers le front déférent de son jeune « ami » ?
Elle est tendue, elle vise, sans repos, un but qu’elle cache. La gloire ? peuh… Celles qui veulent la gloire l’avouent, et je n’ai jamais entendu Hélène Gromet souhaiter les grands rôles, ni décréter : « Quand je jouerai les Simone… » L’argent, plutôt. À la fin d’une chaude leçon, comme celle d’aujourd’hui, c’est la fatigue qui me révèle le mieux, chez Hélène, une solide petite « peuple », âpre à thésauriser.
Elle porte sa fatigue avec la grâce assouvie, et comme heureuse, de la laveuse qui vient de jeter sa charge de linge savonné. Elle est près de moi sur la banquette, et couverte à peine d’une chemise humide et d’une culotte de soie. Elle a croisé une jambe sur l’autre, elle se tait, l’épaule de biais, ses bras nus, pendants. Le crépuscule fait plus bleus ses cheveux noirs ondulés…
J’imagine, quelque part, dans un logis pauvre, une maman d’Hélène, qui rentre à cette heure du bateau-lavoir et laisse ainsi tomber ses bras rouges — une sœur, un frère d’Hélène, qui viennent de quitter l’atelier ou le fétide bureau. Ils sont ainsi ponctuels et penchés en avant, et passagèrement abattus, comme Hélène.
Elle se repose, avant de « refaire » sa figure à l’aide de la grosse houppe et du tampon de coton carminé. Elle me laisse voir, avec une confiance d’animal assoupi, sa figure déshabillée, ses joues brunes dont le commun des mortels ignore l’ambre et le grain un peu rude. L’excès de poudre noiera, tout à l’heure, la courbe de son nez, brusque et busqué, presque rapace…
Le retour de « Robert » la met debout, tout de suite en défense. C’est pourtant un blondin assez humble, qui s’empresse à la servir, à l’habiller — il attache les barrettes brillantes des petits souliers, il tire le long lacet rose du corset… Il s’en faut de si peu que leur groupe soit délicieux…
Je vois bien qu’elle ne le déteste pas, mais je ne vois pas non plus qu’elle l’aime. Elle lui accorde une attention sans bassesse. Quand elle s’en va avec lui, elle le toise de son air profond et combatif, comme une autre leçon à apprendre. Et j’ai envie, parfois, de retenir le bras de cette enfant avide, pour lui demander :
— Mais, Hélène… et l’amour ?
APRÈS MINUIT
— Qu’il fait bon !
La petite danseuse frotte ses bras nus, des bras colorés et grenus de blonde maigre, et respire, comme un air tonique, la chaleur sèche du restaurant.
Au centre de la grande salle, sur une piste de linoléum ciré, tournent déjà des couples : une Cauchoise en bonnet de dentelle, une gigolette à foulard rouge, une almée, un bébé frisé ceint d’un ruban écossais. L’établissement, coté sur la Riviera, emploie une dizaine de danseuses, autant de chanteurs.
La petite Maud vient de l’Eldorado,