« LA GRÈVE, BON DIEU, LA GRÈVE ! »
… D’un œil assoupi, je suis la « pavane » que dansent « les Grandes Concubines de l’Histoire ». En attendant le hennin emperlé, la fraise, le vertugadin, les paniers et le fichu à l’enfant, elles ont, pour répéter, épinglé leurs jupes en pagne autour des hanches ; certaines ont quitté les robes étroites et travaillent en culotte noire, bras nus hors du cache-corset, le bonnichon de fourrure sur la tête.
Le Roi-Soleil les conduit sous les traits d’un maître de ballet en manches de chemise. Gabrielle d’Estrées et la marquise de Pompadour se trompent obstinément, et je les bénis. On recommence… Pourvu qu’elles se trompent encore !…
Assise aux fauteuils d’orchestre sur un pan de housse grise, j’attends dans la salle noire qu’on ait fini de répéter la revue. Il est six heures moins le quart, mes camarades sont en scène depuis midi et demi. Il nous restera trois quarts d’heure pour répéter notre pantomime. Mais je souhaite que Gabrielle d’Estrées et la marquise de Pompadour se trompent encore : je voudrais tant ne pas bouger !
L’avare lumière d’une « servante » à deux ampoules tient lieu de rampe. Ces deux points lumineux, suspendus dans le noir, me piquent les yeux et m’endorment. Un mime, invisible, à côté de moi, trompe son besoin de fumer en mâchant une cigarette pas allumée :
— Encore une journée de fichue pour nous autres ! Je voudrais voir tous les auteurs de revues dans cent pieds de… Regarde-les-moi, les « grandes concubines » ! Et quand on pense que c’est à l’œil qu’elles turbinent… La grève, bon Dieu ! la grève !
Ce mot me réveille. C’est vrai, la grève… On en parle beaucoup, chez nous. Il y a quelque chose de changé dans notre laborieux caf’-conc’, un de ces heureux établissements de quartier, toujours chauds et noirs de foule, où roule, le soir, avec des sifflets, des cris, des trépignements, l’orageux rire populaire.
— La grève, bon Dieu, la grève !
On y pense, on en parle dans les coins. Les p’tites femmes de la prochaine revue, les tours-de-chant n’ont que ce mot-là à la bouche, chacune à sa manière. Il y en a qui crient tout bas : « La grève ! les matinées payées, les répétitions aussi ! » avec des figures embrasées, en levant leur manchon comme un drapeau et leur réticule comme une fronde…
Les « grandes concubines » viennent encore de se tromper. Chouette ! dix bonnes minutes de plus dans mon fauteuil… Mesdames de Pompadour et d’Estrées « prennent » ! Penché sur elles, le maître de ballet leur crie de grosses injures pas méchantes, que la maîtresse du Vert-Galant, une courte brunette ronde, reçoit avec impatience, tournée de notre côté, l’œil vers la sortie.
L’autre, la marquise, baisse la tête comme une enfant qui a cassé un vase. Elle regarde en dessous, sans rien dire — son souffle haletant soulève une grandemèche blonde qui lui barre la joue. La triste lumière qui tombe d’en haut lui