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Page:Colette - La Chambre éclairée, 1920.djvu/64

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le pire raid ? La jeune femme était étendue sur un lit, entre son fils, qui dormait tout vêtu, et sa nourrissonne de dix mois, qui tétait. Elle était là, tranquille et à l’affût, ses cheveux au long du visage, et elle tenait, fixés sur la fenêtre, des yeux de chasseresse. Pour un bruit insolite, elle se souleva puis se recoucha, et l’enfant qui tétait suivit son mouvement, suspendu au sein : ainsi font les louves et les chiennes, traînant leurs jeunes à leurs mamelles, — ainsi faisaient les femelles des hommes au commencement du monde… Celle-ci, enchaînée à ses petits, souriait au silence, à une cloche sonnant au loin les heures, écoutait dans la ville des tressaillements familiers qui annonçaient la venue prochaine de l’aube. Quand je voulus partir, le garçon de cinq ans s’éveilla et demanda : « C’est l’alerte ? — Non, non, dit sa mère. — Ah bon !… Tant mieux… » et il se rendormit.

« C’est l’alerte ? » Quel calme… Tout, dans ce nid sous les toits, était prêt, choses et gens, à la catastrophe suivante : couvertures et pliants, une bouteille de lait, et la petite de dix mois épinglée dans un tricot blanc. Mais, grâce à toi, nuit paisible ! — les heures passaient, noires et pareilles…