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Page:Colette - La Seconde, 1955.djvu/11

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pencha, pétrit sous la nuque de Fanny un coussin de toile, voila de tulle raide les longs bras paresseux et les chevilles nues :

— Là ! Et ne bougez pas, les mouches passeraient sous le tulle… Dormez, Fanny, paresseuse, incorrigible, gourmande, — mais pas plus d’une demi-heure !

— Qu’est-ce que vous allez faire, vous, Jane, par cette chaleur ?… Où est Jean ?… Il ne devrait pas, tant que le soleil est si haut… Je dirai à son père…

Matée par le sommeil brusque des gourmandes, Fanny murmura, puis se tut. Jane contempla un instant le visage détendu, sa forme et son coloris méridionaux, et s’en alla.

Au rythme de son cœur agité, Fanny enfanta un rêve, banal et inintelligible. Elle voyait le hall, la terrasse, la vallée sans eau, les hôtes familiers de la villa ; mais un orage violacé, suspendu, pénétrait d’anxiété bêtes et gens, et le paysage lui-même. Une Jane de songe se tenait debout sous la véranda, interrogeait l’allée vide en bas de la terrasse, et pleurait. Fanny s’éveilla en sursaut et s’assit, comprimant à deux mains son estomac lourd. Devant elle, sous la véranda, se tenait une Jane bien réelle, immobile et désœuvrée, et Fanny, rassurée, voulut l’appeler ; mais Jane, penchant la tête, s’appuya du front à la vitre, et ce faible mouvement détacha de ses cils une larme qui roula le long de sa joue, scintilla sur le bord duveté de la lèvre, descendit jusqu’au corsage où deux doigts la cueillirent