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Page:Colette - La Seconde, 1955.djvu/18

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“ Mon amie ?… Oui, elle est mon amie. Tout de même, mon amie, c’est beaucoup dire… songeait Fanny, marche à marche, dans l’escalier. Qui m’a jamais témoigné autant d’amitié ? Personne. Elle est donc mon amie, une vraie amie. C’est curieux qu’en pensée je n’appelle pas Jane mon amie… ”

Elle rejeta ses vêtements dès qu’elle fut seule dans la chambre à deux lits. Les branches hautes des arbres touchaient le balcon et grattaient, la nuit, les persiennes fermées. Le propriétaire négligent oubliait depuis deux ans tout élagage, et la grande baie ouverte dans le feuillage se refermait peu à peu. Planté d’arbres, ondulé, le lieu respirait la mélancolie des pays sans eau. Point de fleuve, la mer à cent lieues, aucun lac ne doublait l’étendue du ciel.

La façade de la maison et sa terrasse, ensoleillées le matin, reprenaient à deux heures leur vrai visage croisillé de poutrelles, d’auvents et de persiennes chocolat, que la colline d’en face éclairait, par réverbération, d’une lumière fausse qui imitait tristement le soleil. Fanny, accoudée au balcon, à peine couverte d’une chemise, contemplait un paysage qu’elle avait cru, en le quittant l’été passé, ne jamais revoir.

“ Farou l’a voulu, songeait-elle. Deux étés de suite dans le même pays, nous n’avons pas souvent connu ça. Du moment que Farou se plaît ici… ”

Elle se retourna et mesura derrière elle la chambre, vaste comme une grange, agrandie par l’ombre des persiennes mi-fermées.