Page:Colette - La maison de Claudine, 1922.djvu/149

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— Ah !… Tu vas gagner tout de suite ?

— Non, je n’ai que treize ans, je gagnerai l’an prochain.

Elle nous quitta sans effusion et nous la laissâmes froidement aller. Déjà sa beauté l’isolait, et elle ne comptait point d’amies dans l’école, où elle apprenait peu. Ses dimanches et ses jeudis, au lieu de la rapprocher de nous, appartenaient à une famille « mal vue », à des cousines de dix-huit ans, effrontées sur le pas de la porte, à des frères, apprentis charrons, qui « portaient cravate », à quatorze ans et fumaient, leur sœur au bras, entre le « Tir parisien » de la foire et le gai « Débit » que la veuve à Pimolle achalandait si bien.

Dès le lendemain, je vis la petite Bouilloux, car elle montait vers son atelier de couture, et je descendais vers l’école. De stupeur, d’admiration jalouse, je restai plantée, du côté de la rue des Sœurs, regardant Nana Bouilloux qui s’éloignait. Elle avait troqué son sarrau noir, sa courte