Page:Colette - La maison de Claudine, 1922.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au chef-lieu — quarante kilomètres — , battit la ville et revint la nuit d’après, rapportant, avec un grand air de gaucherie fastueuse, deux objets étonnants, dont la convoitise d’une jeune femme pût se trouver ravie : un petit mortier à piler les amandes et les pâtes, en marbre lumachelle très rare, et un cachemire de l’Inde.

Dans le mortier dépoli, ébréché, je pourrais encore piler les amandes, mêlées au sucre et au zeste de citron. Mais je me reproche de découper en coussins et en sacs à main, le cachemire à fond cerise. Car ma mère, qui fut la Sido sans amour et sans reproche de son premier mari hypocondre, soignait châle et mortier avec des mains sentimentales.

— Tu vois, me disait-elle, il me les a apportés, ce Sauvage qui ne savait pas donner. Il me les a pourtant apportés à grand’peine, attachés sur sa jument Mustapha. Il se tenait devant moi, les bras chargés, aussi fier et aussi maladroit qu’un très grand chien qui porte dans sa gueule une petite