Page:Colette - La maison de Claudine, 1922.djvu/90

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Une année de mon enfance se dévoua à capturer, dans la cuisine ou dans l’écurie à la vache, les rares mouches d’hiver, pour la pâture de deux hirondelles, couvée d’octobre jetée bas par le vent. Ne fallait-il pas sauver ces insatiables au bec large, qui dédaignaient toute proie morte ? C’est grâce à elles que je sais combien l’hirondelle apprivoisée passe, en sociabilité insolente, le chien le plus gâté. Les deux nôtres vivaient perchées sur l’épaule, sur la tête, nichées dans la corbeille à ouvrage, courant sous la table comme des poules et piquant du bec le chien interloqué, piaillant au nez du chat qui perdait contenance… Elles venaient à l’école au fond de ma poche, et retournaient à la maison par les airs. Quand la faux luisante de leurs ailes grandit et s’affûta, elles disparurent à toute heure dans le haut du ciel printanier, mais un seul appel aigu : « Petî-î-î-tes » ! les rabattait fendant le vent comme deux flèches, et elles atterrissaient dans mes cheveux, cramponnées de toutes leurs serres courbes, couleur d’acier noir.