Page:Collectif - Revue canadienne, Tome 2 Vol 18, 1882.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quement ; que le plus simple prélude exige du moins une mesure bien arrêtée et un ton prédominant.

Laisser ses doigts errer sans but, sans liaison, sans mesure, entasser accords sur accords sans conclure à une cadence, se perdre dans une suite de modulations sans issue ou faire se succéder des formules et des fioritures disparates, des rengaines vulgaires et décousues sur une redite perpétuelle de la Tonique et de la Dominante, tout cela n’est pas improviser, mais tout simplement divaguer.

Appelleriez-vous un discours, un débit de phrases incohérentes, de mots sans suite ou de simples syllabes ne formant même pas des mots entiers ? Que diriez-vous d’un pareil bavardage à l’église dans la chaire sacrée ? Et cependant quel non-sens, quel bavardage ne vous permettez-vous pas sur l’instrument liturgique quand vous alternez avec la liturgie ?

« Portez-vous, (dit Régnier aux administrateurs de l’Église) le moindre intérêt à la réformation de l’école d’orgue, bannissez comme une peste l’improvisation. Si vous avez affaire à quelque homme d’un talent rare, réglez-lui les moments où il lui sera loisible de se livrer à sa propre faconde ; mais que tout le reste du temps on sache ce qu’il veut, ce qu’il dit, ou ce que disent, par l’organe d’un homme de talent, les grands maîtres de l’école. »[1]

L’organiste de goût, s’il se défie tant soit peu de lui-même, ne recourra guère à l’improvisation qu’au pis-aller, dans les instants, par exemple, où il n’aurait pas tout prêt sous la main un morceau en harmonie avec la circonstance et surtout en relation de ton avec le chant qui doit suivre.[2]

L’offertoire, seule partie de l’office dont la durée admette l’exécution d’une composition de quelqu’importance, lui permettra de puiser à loisir dans le répertoire des grands maîtres. Bach, Rinck, Hesse, Guilmant, Lemmens et tant d’autres compositeurs admirables, les œuvres symphoniques d’un Beethoven, d’un Haydn, d’un Spohr, lui fourniront des pages tour à tour austères ou élégantes, brillantes ou re-

  1. Et l’auteur ajoute ;

    « C’est en lisant qu’on est sûr de n’offrir à Dieu que le résultat d’une pensée mûrement réfléchie. C’est en improvisant qu’on est sûr de parler étourdiment et incorrectement. »

    « L’improvisation perpétuelle est surtout mauvaise en ce qu’elle tend à substituer le goût irréfléchi d’un seul individu aux exigences d’une grave assemblée, le caprice à la science et comme dirait M. de Bonald père, la loi orale à la loi écrite. »

    « Car l’art subit ces deux lois, dont la première est exploitée par les ignorants et les paresseux, la seconde par les travailleurs qui cherchent franchement la science et l’expérience. La nécessité de préférer la musique écrite, comme fixant et agrandissant la langue musicale, est de toute évidence. »

  2. L’unité du chant liturgique exige qu’il y ait uniformité, ou du moins un certain rapport de ton entre le morceau du Graduel et l’Alléluia suivant entre le Sanctus, l’élévation et le chant du Benedictus, entre le psaume et l’antienne jouée par l’orgue.