Page:Collectif - Revue canadienne, Tome 1 Vol 17, 1881.djvu/109

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ce que je suis sûr que vous n’avez pu me faire grand tort, car vous avez trouvé les clefs sur toutes les serrures ; cependant, ne me poussez pas à bout et filez gentiment, sans quoi je vous avertis que j’ai le poignet solide. Surtout pas de dégâts, et en passant devant la cheminée prenez garde de renverser Roméo et Juliette de leur échelle. Mais, sans doute, vous n’êtes pas assez lettré pour savoir ce que c’est que Roméo et Juliette. Donc, en prose vulgaire, il y a un bocal sur la cheminée : pas de casse. J’ai laissé la porte ouverte, détalez, et vivement. »

Gueuxarcher avait commencé ce speech avec un certain tremblement dans la voix, mais elle s’était raffermie à mesure qu’il le débitait, et il en termina la péroraison avec un ton d’autorité irrésistible. L’inconnu devait l’écouter avec une attention soutenue, car, tant que dura cette harangue, il ne siffla ni ne souffla ; mais, lorsqu’elle fut terminée, il répliqua immédiatement d’une voix ferme et distincte :

« Gambetta, my love. »

Cette bizarre réponse fut prononcée avec un accent britannique irréprochable ; seulement, la voix avait quelque chose de singulier ; on eût dit celle d’une vieille femme, ou de quelqu’un parlant en fausset à l’aide d’une pratique. Gueuxarcher partit d’un éclat de rire qui fut immédiatement imité sous le bureau avec une rare perfection. Il n’y comprenait plus rien. Était-ce une vieille Anglaise excentrique qui avait envahi son domicile ? Peut-être était-elle tout à fait folle. Il y en avait une, la veuve d’un baronet, qui demeurait en face de lui. C’était une grande femme noire et sèche comme un stock-fish, qui avait depuis longtemps dépassé la cinquantaine. Allait-il se trouver en face de l’effroyable jeu de domino qui lui servait de mâchoire ? Le cas était plus embarrassant que s’il eût eu affaire à un simple filou.

« It is joke enough, milady, reprit-il d’un ton beaucoup moins triomphant. I am very, very tired and much desirous to remain alone.

— Gambetta, my love, répondit-on de dessous le bureau.

— Je préfère que ce soit lui que moi, fit le propriétaire du logis ; mais il serait mieux d’aller le lui dire à lui-même. »