Page:Collectif - Revue canadienne, Tome 1 Vol 17, 1881.djvu/266

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Le commencement de toutes les langues, ainsi que la naissance des peuples, est enveloppé de ténèbres. Remontez dans la nuit des siècles, partout vous trouverez les langues qui se forment et se fixent à mesure que les peuples grandissent. Une décadence de la langue accompagne toujours, si elle n’entraîne un affaiblissement de la nation. Le lien insensible, mais puissant, qui unit un peuple à sa langue est aussi fort, aussi intime et offre autant de mystères insondables, que l’union de l’âme et du corps de l’homme. Il y a une différence, toutefois, entre l’âme d’un peuple et l’âme humaine. Cette dernière est immortelle, tandis que la première meurt avec le corps qu’elle a animé. Pas toujours, cependant, car certaines langues, qu’on appelle mortes, parce qu’elles sont séparées de leur corps, sont douées d’une sorte d’immortalité.

Ces réflexions peuvent paraître trop longues et un peu solennelles, mais j’ai cru devoir les faire pour convaincre le lecteur qu’un peuple n’a pas le droit de renoncer à sa langue, qui est son âme, pas plus que l’homme n’a le droit de renoncer à sa vie. La langue des peuples et la vie de l’homme sont toutes deux entre les mains du Créateur qui seul peut en disposer selon sa divine sagesse. Il n’est pas plus permis aux nations qu’aux individus de se suicider dans l’espoir d’échapper à des maux qui semblent insupportables et pour trouver le repos.

Un journal de ce pays a dit dernièrement aux Canadiens-français : Vous devez, dans votre propre intérêt, renoncer à votre langue. N’écoutons pas ce conseil perfide. Quand bien même cette fidélité à notre langue nous exposerait à une pauvreté relative, quand bien même elle nous empêcherait de marcher aussi vite que nous le voudrions dans la voie du progrès matériel, nous ne devrions pas hésiter un seul instant en face de notre devoir. Dieu nous a donné la langue française ; par elle Il a accompli au milieu de nous de grandes choses. C’est dans cette langue qu’ont prié nos missionnaires, nos évêques, nos martyrs ; c’est dans cette langue que les fondateurs de la colonie, les Champlain, les de Maisonneuve, les Laviolette, ont conçu leurs généreuses