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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.



L’école de village pendant la Révolution, par Albert Babeau. Paris, librairie académique. Didier & Cie., libraires-éditeurs, 35, quai des Augustins.


Les ouvrages de M. Babeau sur l’histoire et sur l’éducation sont très favorablement connus du public. D’autres se plaisent à raconter les victoires des conquérants, les intrigues de la diplomatie ou les querelles des nations. M. Babeau, au contraire, s’attache aux annales du pauvre peuple, de l’humble hameau, de ces hommes qui forment la nation mais qui n’ont aucune place dans son histoire. Aussi nous l’en félicitons, car sa mission est noble et belle et lui donne des titres à la reconnaissance de ses concitoyens.

Dans le livre que nous avons actuellement sous les yeux, M. Babeau donne un aperçu de l’état de l’instruction primaire pendant la Révolution française. Avant 1789, il y avait des écoles dans presque chaque village ; quand on ne pouvait salarier un instituteur, le curé en remplissait les fonctions et, tout en enseignant le catéchisme, donnait l’instruction primaire par surcroît. L’école « dépendait surtout du clergé, de la commune et de la famille. » L’assemblée des pères de famille choisissait le maître d’école, mais celui-ci devait être muni de l’approbation de l’Église qui attestait sa doctrine et sa moralité : « l’État n’intervenait qu’au point de vue financier et reconnaissait entièrement la liberté des habitants. » Vint ensuite la Révolution qui sapa par la base cet ordre de choses. Les instituteurs devaient être approuvés par l’administration, et, bien entendu, il n’y avait que ceux dont les idées étaient aussi anti-chrétiennes que révolutionnaires qui obtenaient l’autorisation officielle. Ils devaient enseigner la morale républicaine et élever les enfants sans religion. Cependant peu d’hommes voulurent se prêter à ces desseins pervers et l’instruction primaire languissait. On passait loi après loi, on faisait les appels les plus pathétiques aux candidats, mais les instituteurs manquaient toujours.

Mais il y avait autre chose que ce mal négatif : l’enseignement était impie et irréligieux. On supprima le culte catholique, on remplaça le dimanche par le décadi et l’on prescrivit des livres comme le Catéchisme républicain et les Épitres et évangiles du républicain et autres publications analogues où l’infamie ne le cède qu’à l’absurde. Le mal était tel que les parents préféraient laisser leurs enfants grandir dans l’ignorance que de les confier aux maitres qui enseignaient de semblables doctrines. Le Directoire ne put rien contre cette résistance des parents et les républicains eux-mêmes étaient obligés d’avouer que, pendant leur règne, l’instruction et l’enseignement n’avaient que rétrogradé. Heureusement il y avait des hommes courageux et assez dévoués pour ouvrir des écoles où l’enseignement n’était pas une conspiration contre la vérité. Ces écoles, malgré tous les efforts de l’administration, furent presque toujours les plus fréquentées.

M. Babeau a écrit sur cette concurrence des écoles libres un chapitre remarquable que nous avons lu avec un vif intérêt. Cela prouve que pendant les années les plus sombres de la Terreur on ne désespérait pas de la bonne cause.

Nous devons dire en terminant, car nous ne pouvons faire une analyse étendue de ce livre, que M. Babeau est aussi bon philosophe qu’historien consciencieux. Après avoir constaté l’avortement complet des décrets de la Convention et du Directoire, il l’attribue « à la guerre systématique qui fut faite à l’enseignement chrétien. » On peut en effet changer la religion d’une nation, « mais, » dit-il, « dans aucun temps, chez aucun peuple, quel qu’ait été le degré de civilisation où il soit parvenu, on n’a pu détruire la religion elle-même. » Nous félicitons M. Babeau d’avoir aussi bien compris les enseignements de l’histoire, et nous signalons son livre à l’attention de ceux qui, sans avoir le génie de Danton, Robespierre et autres, veulent cependant les surpasser dans l’œuvre satanique de la corruption de la jeunesse.