Page:Collectif - Revue pittoresque 1848.djvu/413

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TOUTE LA VIE POUR UN JOUR.

Je veux, après avoir menti toute ma vie, dire une fois la vérité. Mais à qui la dirai-je, cette vérité ? Une femme a-t-elle un ami qui écoute avec intérêt l’histoire de sa jeunesse, si ce n’est pour en rire ? Existe-t-il un être à qui je puisse confier que je viens de perdre encore une illusion ? À mon âge ! non, c’est impossible ! Eh bien ! j’écrirai, j’écrirai pour moi seule. Je serai franche ; que gagnerais-je à ne l’être pas ? C’est un soulagement que je cherche, c’est une sorte de testament que je vais faire. Oh ! oui, c’est un testament ; car, après avoir posé la plume, il ne me restera ni passé ni avenir ! — Le passé ! — Mon Dieu ! qu’il est loin, et qu’il me paraît près de moi ! — Je vais coucher ce soir dans cette chambre, où je ne suis pas entrée depuis quarante ans. J’ai revu les choses presque dans le même étal : mon imagination m’a ramenée à l’époque où j’habitais ces mêmes lieux, et m’en a rendu un tableau si vrai que j’ai tressailli en apercevant dans la glace mon vieux visage ridé ; il me semblait que je devais l’y retrouver jeune. Hélas ! depuis aujourd’hui il n’y a plus rien de jeune en moi ?

Je perdis ma mère en naissant, et mon père ne lui survécut que de dix années. Je me trouvai donc, bien enfant encore, sous la tutelle de ma sœur, la duchesse de Saint-Melaye, qui venait de se marier, et qui, dans la fleur de sa beauté, dans l’ivresse de ses premiers succès, ne songea qu’à se débarrasser de moi. Elle me mit a Panthemont. Ce couvent, fort à la mode alors, renfermait beaucoup de filles de qualité et de riches héritières.