Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/207

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— Cet « homme ? » répéta-t-il. Drôle de corps que vous êtes ! à quoi pensez-vous, d’appeler cela un homme ? Vous vous trompez d’espèce… Il y a une demi-heure, avant que je n’eusse besoin de mes eaux fortes, il pouvait être, à la rigueur, un homme ou quelque chose d’approchant ;… il le redeviendra quand je serai las de les regarder. Pour le moment, ce n’est qu’un chevalet… Que vous importe, Gilmore, la présence d’un chevalet ?

— Cela m’importe. Pour la troisième fois, monsieur Fairlie, je vous prierai de faire en sorte que nous soyons seuls…

Mon accent et mon attitude ne le laissaient pas libre de se refuser à ma demande. Il regarda le domestique, et, d’un air contrarié, lui montrant une chaise placée à côté de lui :

— Posez-là ces gravures, et allez-vous-en ! lui dit-il. Ne me bouleversez pas, en perdant la planche où j’en étais… L’avez-vous perdue, oui ou non ?… Êtes-vous bien sûr de ne pas l’avoir perdue ?… et avez-vous placé le timbre bien à ma portée ?… Oui ?… Eh bien ! pourquoi diable n’êtes-vous pas déjà parti ?…

Le valet de chambre s’en alla. M. Fairlie fit son nid dans le fauteuil de son fin mouchoir de batiste ; il se mit à nettoyer le verre de sa loupe, et, de temps en temps, se donnait le plaisir de jeter un coup d’œil oblique sur le volume d’eaux fortes, ouvert près de lui. Il ne m’était pas facile de conserver mon sang-froid en des circonstances pareilles ; — je le conservai, cependant.

— Je suis venu, lui dis-je, bien que personnellement cela me gênât fort, pour veiller aux intérêts de votre nièce et de votre famille, et j’imagine que j’ai acquis ainsi quelques légers droits à l’attention que vous m’accorderez en échange.

— Ne me brusquez pas ! s’écria M. Fairlie, se laissant aller dans son fauteuil comme un homme au désespoir, et fermant les yeux à la tête de Méduse que je lui présentais. De grâce, ne me brusquez pas !… je n’ai pas la force de le supporter…

J’étais bien décidé, pour l’amour de Laura Fairlie, à ne pas me laisser mettre en colère.