Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/246

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« 17 décembre. » — Il est arrivé aujourd’hui, et m’a paru avoir l’air un peu fatigué, un peu inquiet ; il cause et rit cependant, comme un homme à qui nul souci ne pèse. Il apportait avec lui quelques présents réellement beaux, bijoux du meilleur goût, que ma sœur a reçus en toute bonne grâce, et, du moins en apparence, avec un calme parfait. L’unique symptôme par lequel se révèle, à mes yeux, le combat qu’elle se livre à elle-même pour garder de tels dehors, en ce temps d’épreuves, est la répugnance soudaine, bien extraordinaire chez elle, qu’elle manifeste pour la solitude. Au lieu de rester ou de rentrer sans cesse dans son appartement, ainsi qu’elle faisait naguère, elle semble craindre d’y demeurer seule. Aujourd’hui, par exemple, lorsque, après le « lunch », je suis montée pour prendre mon chapeau (nous allions nous promener), elle m’a, sans nécessité, servi d’escorte. En outre, avant le dîner, pendant notre toilette, elle a laissé ouverte la porte qui sépare nos deux chambres, pour pouvoir continuer à s’entretenir avec moi : — « Occupez-moi toujours, disait-elle ; arrangez-vous pour que j’aie toujours quelqu’un près de moi. Ne me laissez pas le temps de penser : c’est maintenant, Marian, tout ce que je vous demande… Ne me laissez pas le temps de penser ! »

Ce triste changement qui s’est fait en elle semble vraiment la rendre plus attrayante aux yeux de sir Percival. Il l’interprète, si j’en juge bien, dans un sens favorable à ses vœux. Il salue, comme un retour de sa beauté, comme un signe de sa gaieté renaissante, la rougeur fiévreuse qui colore ses joues, l’éclat fiévreux qui anime son regard. Aujourd’hui, au dîner, elle causait avec une vivacité, une insouciance si évidemment de commande, et contrastant d’une manière si blessante avec ses instincts naturels, que je brûlais, dans mon for intérieur, de lui imposer silence et de l’emmener. Le plaisir et la surprise de sir Percival semblaient, en revanche, défier toute expression. L’inquiétude que sa physionomie m’avait paru trahir au moment de son retour, s’était complètement dissipée ; et, même à mes yeux, il paraissait de dix ans plus jeune qu’il ne l’est réellement.