Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/286

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installé dans mes bonnes grâces… En vérité, voilà qui est merveilleux !

Est-ce son visage qui lui a servi de passe-port ?

Peut-être, en effet, est-ce son visage. Sur une large échelle, il reproduit, d’une manière frappante, le galbe impérial de Napoléon. Ses traits ont la magnifique régularité qui distinguait ceux du merveilleux aventurier : leur expression est celle de ce calme dominateur, de cette puissance immuable qui se lisait sur la face du grand soldat. Cette ressemblance frappante m’a certainement impressionnée au début ; mais indépendamment d’elle, il y a quelque chose encore chez lui, qui m’a plus profondément affectée. Cette influence dont j’essaie de trouver l’origine, ce sont ses yeux, je pense, qui la lui donnent. Je n’ai jamais vu d’yeux gris aussi profonds, aussi insondables, et ils ont parfois des irradiations froides, éclatantes, magnifiques, irrésistibles, qui me forcent à le regarder, tout en causant, et lorsque je le regarde, m’imposent des sensations auxquelles je voudrais échapper. D’autres portions de sa figure et de sa tête ont aussi leurs singularités. Son teint, par exemple, est d’une sorte de blond malade, s’accordant si mal avec le brun foncé de sa chevelure que je soupçonne cette chevelure d’être une perruque ; et son visage, où le rasoir ne laisse pas pousser un poil de barbe, est plus lisse que le mien, plus exempt de toutes marques ou de toutes rides, bien qu’au dire de sir Percival, il approche de la soixantaine. Mais, pour moi, ce ne sont point ces particularités de son extérieur qui le distinguent de tous les hommes que j’ai pu voir. Ce qui le met à part de l’humanité vulgaire, dépend absolument, pour autant que j’en puisse juger à l’heure présente, de l’expression extraordinaire et de l’extraordinaire puissance de son regard.

Ses manières et sa parfaite connaissance de notre langue peuvent aussi l’avoir aidé quelque peu à se mettre bien avec moi. Il a cette déférence calme, cet air d’intérêt attentif et satisfait quand il écoute une femme, — et, quand il lui parle, cet adoucissement secret de la voix, — auxquels, nous avons beau dire, aucune de nous ne