Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/380

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les fenêtres de la salle à manger, avec ses bottes de chasse et son « waterproof », et ce fut tout.

Le comte mena tranquillement la matinée, sans mettre le pied dehors ; tantôt, par instants, dans la bibliothèque, tantôt dans le salon, où il essayait sur le piano quelques fragments de musique, et se fredonnait à lui-même quelques cantilènes. S’il fallait ne tenir compte que des apparences, le côté sentimental de son caractère persistait encore à se révéler. Il était silencieux, susceptible d’attendrissement, et tout prêt, pour peu qu’on l’y provoquât, à soupirer, à languir en masse, comme seuls les hommes très-gras peuvent et languir et soupirer.

L’heure du lunch arriva, et sir Percival n’était pas revenu. Le comte prit à table la place de son ami, — dévora d’un air plaintif les trois quarts d’une tarte aux fruits, arrosés par lui d’un grand bol de crème, — et quand il eut fini, nous expliqua la portée méritoire du haut fait qu’il venait d’accomplir : — Le goût des douceurs, nous disait-il avec son accent et ses gestes les plus attendris, est l’instinct le plus innocent de la femme et de l’enfance. J’aime à l’avoir en commun avec eux ; — c’est un lien de plus entre vous et moi, chères ladies…

Laura quitta la table au bout de dix minutes. J’étais vivement tentée de l’accompagner. Mais si nous étions sorties toutes deux ensemble, le soupçon ne pouvait manquer de naître ; et, ce qui aurait été pire encore, si Anne Catherick venait à voir Laura sous l’escorte d’une personne qui lui était inconnue, nous devions, selon toute probabilité, à partir de ce moment, perdre sa confiance, et la perdre pour jamais.

J’attendis donc, aussi patiemment qu’il me fût possible, l’arrivée du domestique qui venait enlever le couvert. Lorsque je quittai la salle, aucun symptôme, soit hors du château, soit au-dedans, n’avait encore annoncé le retour de sir Percival. Je laissai le comte ayant un morceau de sucre entre ses lèvres, vers lequel s’élevait avec effort, tout le long du gilet magnifique, le perroquet aux penchants vicieux, pendant que madame Fosco, assise devant son mari, contemplait ce drame à deux personnages