Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geante de son ami n’avait pas produit le plus léger effet sur ce dernier. Le comte nous accompagna obstinément jusqu’à la table à thé, — perdit une ou deux minutes à rôder autour de nous, — puis, passant dans le vestibule, il en revint avec la boîte aux lettres dans ses mains. Il était alors huit heures, — l’heure à laquelle on expédiait régulièrement le courrier de Blackwater-Park.

— N’avez-vous rien pour la poste, miss Halcombe ? me demanda-t-il, s’approchant de moi et me présentant la boîte ouverte.

Je vis madame Fosco qui faisait le thé, s’arrêter tenant la pince à sucre, pour écouler ma réponse.

— Non, monsieur le comte ; je vous rends grâces. Je n’ai pas de lettres à faire partir aujourd’hui…

Il remit la boîte au domestique qui venait d’entrer dans l’appartement ; puis il s’assit au piano, et joua deux fois de suite l’air de cette joyeuse chanson des rues de Naples : « La mia Carolina ». Sa femme, qui d’ordinaire était la personne la plus posée dans tous ses mouvements, expédia le thé aussi promptement que j’eusse pu le faire moi-même, — avala sa tasse en deux minutes, — et se glissa hors du salon sans le moindre bruit.

Je me levai pour en faire autant, — moitié parce que je la soupçonnais de vouloir pratiquer là-haut quelque trahison à l’égard de Laura ; moitié parce que j’étais bien résolue à ne pas rester seule dans la même pièce que son mari.

Avant que j’eusse pu gagner la porte, le comte me rappela pour me demander une tasse de thé. Lorsqu’il fut servi, je tentai une fois encore de m’échapper. Une fois encore, il m’arrêta, en retournant au piano et me provoquant tout à coup à m’expliquer sur une question musicale, dans laquelle il affirmait que l’honneur de son pays était en jeu.

Vainement plaidai-je mon ignorance absolue en fait de musique, et les déplorables défaillances de mon goût en cette matière, il n’en appelait pas moins à mon jugement, de plus belle, avec une véhémence qui coupait court à toutes mes protestations : — Les Anglais et les Allemands