Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/49

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de cette flexibilité féminine, si attrayantes, sans lesquelles la femme la plus belle ne saurait l’être tout à fait. Voir la figure que je viens de décrire sur des épaules qu’un sculpteur eût modelées avec amour, — être charmé d’abord par les grâces modestes où se révélait la parfaite symétrie de ce beau corps, et presque repoussé, ensuite, par la virilité de ces traits, de cette physionomie si inconciliable avec le reste, — c’était éprouver, à peu de chose près, l’embarras presque risible dans lequel nous plongent certains rêves bizarres, dont nous ne savons comment concilier les contradictions et les anomalies.

— M. Hartright, sans doute ? me dit cette jeune personne, dont un bon sourire vint illuminer, adoucir aussi la physionomie, et qui devenait un peu plus femme en prenant la parole… Nous avions renoncé, hier soir, à l’espérance de vous voir arriver ; et nous nous sommes retirés à l’heure habituelle. Veuillez recevoir mes excuses pour cette apparente négligence… et permettez-moi de me présenter à vous comme une de vos futures élèves… Vous offrirai-je la main ?… Je suppose que, tôt ou tard, nous en viendrons là… Pourquoi pas tout de suite ?…

Cette bienvenue sans cérémonie fut articulée d’une voix vibrante, sonore et pleine de charme. La main offerte, — peut-être un peu forte, mais bien modelée — me fut abandonnée avec la calme aisance, l’aplomb vrai d’une femme bien élevée. Nous prîmes place à la table du déjeuner avec autant de cordialité, aussi peu d’embarras, que si nos relations dataient déjà de plusieurs années, et que nous nous fussions donné rendez-vous à Limmeridge pour causer amicalement du temps passé.

— Je compte bien, me disait cette aimable personne, que vous êtes venu ici tout à fait déterminé à tirer le meilleur parti possible de votre position. Dès ce matin, il faut vous faire à l’idée de n’avoir que moi pour vous tenir compagnie à déjeuner. Ma sœur est restée chez elle, où la retient cette indisposition essentiellement féminine qu’on appelle migraine ; sa bonne vieille gouvernante, mistress Vesey, est charitablement auprès de ma sœur, occupée à lui faire avaler le thé qui doit lui