Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/540

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J’arrivai aux Marais ; je gravis de nouveau la colline : j’embrassai du regard le long sentier ; — et mes yeux retrouvèrent, dans l’éloignement, les bocages familiers du jardin, l’hémicycle sablé où les voitures venaient s’arrêter, les hautes murailles blanches de Limmeridge-House. Les chances diverses de ce périlleux pèlerinage, qui venait d’occuper ma vie depuis plusieurs mois, s’effacèrent toutes de mon esprit, tombant en poussière et réduites à rien par l’effet magique de ce spectacle. Il me semblait que, hier à peine, mes pieds avaient foulé pour la dernière fois ce sol revêtu de bruyères odorantes. Il me semblait que j’allais la voir venir à ma rencontre, sa figure ombragée par un petit chapeau de paille, son modeste vêtement frémissant au souffle de la brise, et dans ses mains cet album aux pages si bien remplies.

Ô tombeau, tu as tes victoires ! Ô mort, tu as ton aiguillon !

Je me détournai : — au-dessous de moi, là le petit vallon, l’église aux murs gris, entourée de solitude ; le porche sous lequel j’avais attendu l’arrivée de la Femme en blanc ; les collines formant enceinte au champ de repos ; le ruisseau froid murmurant sur son lit de cailloux. À la tête du tombeau se dressait, élégante et blanche, la croix de marbre ; — et, sous ce tombeau, mère et fille dormaient ensemble.

Je m’en approchai. Une fois encore, je franchis la barrière de pierre à peine élevée au-dessus du sol, et j’entrai, tête nue, dans ce lieu sacré. Le respect et la douleur venaient y rendre un dernier hommage à la douceur et à la bonté.

Je m’arrêtai devant le piédestal d’où s’élevait la croix. Sur une des faces, la plus rapprochée de moi, l’inscription récemment taillée arrêta mes yeux ; — ces lettres noires, impitoyables, d’une netteté cruelle, qui racontaient l’histoire de sa vie et de sa mort, je tentai de les lire. Je les lus, en effet, jusqu’au nom : « Consacrée à la mémoire de… » Oh ! ces yeux bleus si tendres, voilés de larmes ; cette blonde tête languissamment penchée ; ces innocents adieux qui me conjuraient de la quitter ; — j’eusse voulu