Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/546

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Retranchée vivante de la liste des vivants, la fille de Philip Fairlie, la femme de Percival Glyde pouvait bien encore exister pour sa sœur, pouvait bien encore exister pour moi ; mais, en dehors de nous et pour tout le reste du monde, elle était morte. Morte pour son oncle qui l’avait reniée ; morte pour les domestiques du château, qui s’étaient refusés à la reconnaître ; morte pour les personnes investies de l’autorité légale qui avaient transmis sa fortune à son époux et à sa tante ; morte pour ma mère et ma sœur, qui me croyaient la dupe d’une aventurière et la victime d’une fraude ; morte de par la société, la morale et la loi.

Et, cependant, elle vit ! Elle vit, pauvre et cachée. Elle vit, ayant pour champion le pauvre professeur de dessin qui a pris à tâche de la replacer, un jour ou l’autre, ou rang qu’elle occupait dans le monde des êtres vivants.

Au moment où sa figure me réapparut pour la première fois, quelques soupçons, fondés sur ce que je savais de sa ressemblance avec Anne Catherick, vinrent-ils me traverser l’esprit ? Non, pas même l’ombre d’un soupçon, dès l’instant où elle eut levé son voile à côté de l’inscription qui attestait son trépas.

Avant que le soleil de cette journée se fût couché, avant que nous eussions perdu de vue, dans l’obscurité du soir, la résidence de famille qui lui fermait ses portes, les paroles d’adieu que j’avais prononcées naguère, lors de notre séparation à Limmeridge-House, nous nous les étions rappelées l’un et l’autre : répétées par moi, elle les avait reconnues. « Si jamais un temps venait, où tout le dévouement de mon cœur, de mon âme et de ma force pouvait vous procurer un moment de bonheur ou vous épargner un moment de chagrin, vous rappellerez-vous le pauvre maître de dessin qui vous a donné ses leçons ? » Et Laura, qui maintenant se rappelait si peu les anxiétés et les terreurs d’une époque plus récente, gardait fidèlement mémoire de ces paroles ; en toute innocence, en toute confiance, elle reposait sa tête dévouée au malheur sur la poitrine de l’homme qui les avait prononcées. À ce moment-là même, où elle m’appe-