Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/755

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tour absolument imprévu que venaient de prendre les événements ; aussi je ne savais plus ni que dire ni comment agir. Pesca dissipa quelque peu cet abasourdissement, en descendant pour se rasseoir auprès de moi, et en prenant le premier la parole.

— Bon Dieu ! s’écria-t-il, quels yeux roule donc l’homme gras ? Est-ce moi qu’il regarde ainsi ? Serais-je fameux sans le savoir ? et comment me connaît-il, moi qui ne le connais pas ?…

Mon regard était toujours fixé sur le comte. Je le vis bouger pour la première fois au moment où, Pesca se rasseyant, son compatriote sembla vouloir ne pas le perdre de vue. Je fus curieux de savoir ce qui arriverait si, dans ces circonstances, l’attention du petit homme était détournée de celui qu’il fascinait ainsi ; je demandai, en conséquence, au professeur si, parmi les dames qui occupaient les loges, il ne reconnaissait pas quelques-unes de ses élèves. Pesca porta immédiatement à ses yeux son énorme lorgnette, et la promena lentement tout autour des galeries, cherchant, le plus consciencieusement du monde, à résoudre la question que je venais de lui poser.

Dès qu’il parut être ainsi préoccupé, le comte tourna sur lui-même, glissa parmi les personnes qui occupaient les stalles au delà de la sienne, dans la direction opposée à nous, et disparut dans le couloir central qui donne issue au parterre. Je saisis Pesca par le bras, et, à son inexprimable surprise, je l’entraînai avec moi au fond du parterre pour couper la retraite au comte, avant que celui-ci pût gagner la porte. Je fus quelque peu étonné, à mon tour, de nous voir devancés par notre fluet voisin, l’homme à la cicatrice, qui sut éviter à temps l’obstacle momentané offert à notre course par quelques spectateurs du parterre, lesquels venaient, eux aussi, de quitter leurs places. Quand nous parvînmes sous le vestibule, le comte avait disparu ; — et le svelte étranger n’était plus là, lui non plus.

— Rentrons ! dis-je, rentrons chez vous, mon cher Pesca ! il faut que je vous parle seul à seul ; que je vous parle sur l’heure…