Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/758

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dès ce moment, et pour l’heure où il vous plairait de la reprendre. Reprenez-la donc aujourd’hui !… Oui, certes ! je ne dis rien de trop… Aussi vrai que le bon Dieu est sur nos têtes, les paroles que je vais prononcer mettront ma vie dans vos mains…

Le tremblement ému avec lequel fut prononcée cette bizarre adjuration porta dans mon esprit la conviction qu’il disait la vérité.

— Prenez bien garde à ceci, continua-t-il, agitant les mains vers moi, dans la véhémence de son émotion. Il n’existe en mon esprit aucune sorte de lien entre cet homme que vous appelez Fosco, et le passé sur lequel me force à revenir l’affection que j’ai pour vous. Si vous découvrez ce fil, gardez-le pour vous ; ne m’en dites rien !… Je vous en prie et supplie à genoux, laissez-moi mon ignorance ; laissez-moi rester aveuglé sur l’avenir, comme je le suis à cette heure ; laissez-moi rester innocent de tout le mal qu’une telle découverte pourra produire !…

Je voyais la peine qu’il avait à s’exprimer en anglais, dans une occasion trop sérieuse pour lui permettre l’usage de son vocabulaire familier, ajouter singulièrement à la difficulté des aveux devant lesquels il venait de reculer. Or, comme j’avais, dans les premiers temps de notre intimité, appris à lire et à comprendre sa langue natale, sinon à la parler moi-même, je lui proposai de s’exprimer en italien, tandis que je rédigerais en anglais les questions qui me sembleraient nécessaires pour éclaircir le sujet. Il accepta cette combinaison. Ce fut dans sa langue, au rapide courant, — et prononcés avec une agitation véhémente accusée par la mobilité perpétuelle de ses traits et la brusquerie passionnée de sa gesticulation étrangère, mais sans qu’il en vînt jamais à élever la voix, — ce fut ainsi, dis-je, que j’entendis les mots destinés à m’armer pour la dernière lutte dont ce récit doit résumer le souvenir[1].

  1. Il est naturel de mentionner ici qu’en reproduisant les détails à moi confiés par Fosca, j’en ai supprimé, j’y ai changé avec soin tout ce qui pouvait compromettre un ami. Les seules réserves que j’aie cru devoir garder vis-à-vis du lecteur sont celles que, dans cette partie du récit, la prudence rendait nécessaires.