Aller au contenu

Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre course avait à peu près duré trois heures, lorsque la calèche franchit de nouveau les portes de Limmeridge-House.

En revenant, j’avais laissé ces dames convenir entre elles du point de vue qu’elles devaient dessiner sous mes yeux dans l’après-midi du lendemain. Quand elles montèrent s’habiller pour le dîner, et lorsque je me retrouvai seul dans mon petit salon, je sentis ma gaieté m’abandonner tout à coup. J’étais mal à l’aise et mécontent de moi-même, sans savoir au juste pourquoi. Peut-être ma conscience me reprochait-elle, pour la première fois, d’avoir pris plaisir à notre promenade, plutôt comme un simple hôte que comme un professeur de dessin. Peut-être aussi étais-je hanté par ce sentiment dont j’ai parlé, qu’il manquait quelque chose, soit à miss Fairlie, soit à moi, pour nous donner la pleine intelligence l’un de l’autre. À tout prendre, j’éprouvai un grand soulagement lorsque l’heure du repas vint m’arracher à ma solitude, et me ramena au milieu des dames de « la famille ».

En entrant au salon, je fus frappé du contraste curieux qu’offraient leurs toilettes de soirée. Tandis que mistress Vesey et miss Halcombe étaient richement habillées (chacune selon les convenances de son âge) : la première, en satin gris à reflets d’argent ; la seconde, en soie de cette nuance délicate qui rappelle la primevère, et dont le jaune indécis se marie si heureusement aux teints bruns, aux cheveux noirs, — miss Fairlie, plus simple et presque trop simple, portait une robe de mousseline blanche, sans la moindre broderie ou le moindre agrément. Cette robe était, il est vrai, d’une blancheur irréprochable ; elle lui allait à merveille ; encore était-ce, pourtant, l’espèce de vêtement dont eût pu se parer la femme ou la fille d’un homme tout à fait sans fortune ; et, à ne la juger que sur ses dehors, on eût pu la croire plus pauvre que sa propre institutrice. Plus tard, apprenant à mieux connaître miss Fairlie, j’ai pu m’assurer que cette simplicité, peut-être excessive, tenait à la délicatesse naturelle de ses sentiments, et à l’extrême aversion que lui inspirait tout ce qui de près ou de loin, pouvait ressembler à un étalage