Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/767

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servais pas, à cet égard, la moindre incertitude. Le désir extraordinaire qu’il avait manifesté de n’être point éclairé sur l’identité du comte, — ou, en d’autres termes, de rester dans une ignorance des faits qui l’autorisât en conscience à ne point agir, — montrait clairement que, sans qu’il eût voulu me l’avouer, il avait en main les moyens d’exercer la terrible justice de la Fraternité. La fatale certitude avec laquelle la vengeance des associations politiques étrangères sait atteindre un traître à la cause, en quelque lieu qu’il se puisse cacher, avait été attestée par de trop fréquents exemples pour me laisser là-dessus le moindre doute, bien que je fusse loin de connaître en détail leurs sombres annales. Sans envisager ce sujet autrement qu’avec mes souvenirs comme lecteur de journaux, ne me rappelais-je pas mille histoires, ayant Londres ou Paris pour théâtre, d’étrangers qu’on avait trouvés poignardés dans les rues, sans qu’on ait jamais pu se mettre sur la trace de leurs assassins ; — de cadavres ou de lambeaux de cadavres, jetés dans la Tamise ou la Seine par des mains demeurées inconnues ; — de morts violentes secrètement arrivées, et dont on ne pouvait se rendre compte par aucune autre explication. Je n’ai rien déguisé, dans ces pages, de ce qui se rapporte personnellement à moi, — et je ne prétends pas dissimuler que je croyais avoir écrit la sentence de mort du comte Fosco, si venait à se produire le fatal événement qui autorisait mon ami le professeur à ouvrir ma lettre.

Je descendis au rez-de-chaussée de la maison pour demander à mon hôte s’il ne pourrait pas me procurer un messager, lorsque, sur l’escalier, je le rencontrai qui montait. Il m’offrit aussitôt son fils, jeune garçon intelligent et alerte. Nous l’appelâmes, et je lui donnai ses instructions. Il devait porter la lettre, en cabriolet, la remettre en mains propres au professeur Pesca, et me rapporter, en quelques mots, un reçu de ce gentleman ; revenu en cabriolet, il garderait sa voiture à la porte, pour que j’en pusse disposer à mon tour. Il était alors bien près de dix heures et demie. Je calculai qu’en vingt minutes, plus ou moins, ce garçon pouvait être de retour.